Avec ses outils de jardinage à la main et son manteau floqué « CWGC* », vous croiserez peut-être Samuel Levasseur dans les allées du cimetière militaire canadien de Reviers/Bény-sur-Mer.
Depuis 30 ans, Samuel est le jardinier du cimetière militaire canadien de Reviers/Bény-sur-Mer.
C’est ici que reposent les corps des soldats morts au combat lors du Débarquement et de la Bataille de Normandie, pour notre Liberté.
*Commonwealth War Graves Commission
Au fil des années, Samuel est devenu bien plus que le simple jardinier de ce cimetière militaire; il est devenu le gardien des lieux.
Son travail ne consiste pas seulement à l’entretien du site.
Il lui arrive fréquemment de renseigner les visiteurs et d’évoquer l’histoire des soldats inhumés ici.
Il collecte quotidiennement des objets laissés par les familles venues se recueillir sur la tombe d’un aïeul.
Coquelicot et drapeau en tissu, photos de mariage des années 40, pièces de monnaie et bien d’autres objets insolites sont précieusement conservés par Samuel.
L’ambiance paisible et solennelle des lieux a fait naître en lui l’envie d’écrire des poèmes.
C’est sa façon à lui de rendre hommage aux soldats canadiens débarqués à Juno Beach, à quelques kilomètres de là.
Nous sommes allées rencontrer Samuel Levasseur afin de discuter de son métier et de ce site militaire où reposent 2049 officiers et soldats.
Dialogue avec un jardinier…
Comment êtes-vous devenu le jardinier de ce lieu de mémoire ?
Après une formation en horticulture à Saint-Gabriel-Brécy, près de Bayeux, j’ai été paysagiste.
Quelques années plus tard, j’ai vu une annonce pour rentrer au service de la Commonwealth War Graves ; il s’agit de la Commission des cimetières de guerre du Commonwealth.
J’ai postulé, et depuis, je m’occupe à plein temps de l’entretien du site.
En quoi consiste votre travail ?
Je m’occupe de retirer les fleurs fanées, j’en plante de nouvelles.
Je choisis consciencieusement les espèces afin que le cimetière soit fleuri en toute saison.
J’ai planté plus de 90 plantes vivaces, mais je dois être vigilant car les fleurs ne doivent pas cacher les inscriptions des 2049 tombes.
Au printemps, c’est une explosion de couleurs avec le jaune des jonquilles, le violet des iris et le rouge des tulipes.
En juin, le coquelicot avec sa couleur rouge-orange tranche avec le blanc éclatant des stèles.
Même si la Commission propose diverses machines, je préfère encore le travail effectué à la main avec des outils traditionnels : râteaux, bêches, binettes…
Une équipe mobile vient me prêter main forte pour les gros travaux paysagers, notamment pour tailler les érables, le symbole du Canada.
Premièrement, Il faut aussi s’occuper du gazon. Celui-ci est de qualité supérieure. Il est extrêmement résistant aux intempéries et au piétinement.
Ce dernier doit supporter le flux de visiteurs, car il peut y avoir jusqu’à 6 bus de Canadiens en une journée.
Il est vrai que je suis souvent coupé dans mon travail afin de renseigner les visiteurs, mais ca ne me gêne pas, bien au contraire !
Nous sommes à 3 kilomètres des Plages du Débarquement. Connaissiez-vous l’histoire du Jour-J avant de travailler ici ?
Oui, j’ai toujours aimé l’histoire.
Et puis, en tant que Normand, on connaît tous le déroulement du D-DAY, cela fait partie de notre ADN.
À cette époque, mon père habitait le centre-ville de Caen et a été contraint de se réfugier en juin 1944 à Saint-Germain-la-Blanche-herbe.
C’est ainsi, pendant les fracas des combats ; qu’il a plusieurs fois dû se cacher dans les trous créés par les bombes.
Il a croisé les soldats canadiens.
Ensuite, il s’est retrouvé du côté de Vimoutiers au sud est de Caen.
Là-bas, des Allemands se sont cachés avec lui et d’autres civils, puis ils ont fini par se rendre aux Américains.
En travaillant ici, année après année, j’ai découvert l’histoire de ces hommes qui avaient autour de 20 ans lorsqu’ils ont débarqué.
Le Jour J sur le secteur canadien Juno Beach
Quelles sont les questions que vous posent les visiteurs ?
Ils me questionnent sur le nombre de soldats enterrés ici, sur l’essence des fleurs ou encore sur le fonctionnement de la Commission qui gère ce site.
Je les aide parfois à trouver la tombe d’un aïeul, car ce n’est pas toujours évident de localiser l’emplacement d’une sépulture.
Il m’arrive aussi de leur raconter l’histoire de certains Canadiens, comme celle du sergent Gagnon.
Bernières-sur-Mer, 6 June 1944.
Source: Lieut. Gilbert A. Milne, DND , Library and Archives Canada, PA-131506
Le sergent Rosaire Gagnon a débarqué le 6 juin 1944 avec le régiment de la Chaudière.
Son rôle était de libérer une voie d’accès pour son régiment avec l’objectif de débarrasser Bény-sur-Mer et Basly de l’occupant.
Une fois sa mission terminée, il retourne sur la plage et aperçoit un groupe de civils français fait prisonnier par méprise, avec des soldats
allemands.
Il intervient et les fait libérer.
Avec trois de ses camarades, il reste à Bernières jusqu’au 9 juin afin d’assurer le débarquement du matériel nécessaire à son régiment.
Durant ces quelques jours, il se lie d’amitié avec les habitants.
ll décède le 12 juin lors d’un combat à Rot ; il avait 24 ans.
Le sergent Gagnon a marqué l’esprit des Berniérais par sa bravoure et sa gentillesse.
Un rond-point de Bernières-sur-Mer porte son nom pour lui rendre hommage.
Son corps repose ici, au cimetière militaire de Reviers/Bény-sur-Mer.
Plus de témoignages de soldats et de civils sur l’application web gratuite, accessible 7 jour/7 et sans téléchargement : dansleurspas.com
Racontez-vous l’histoire des frères Westlake ?
Oui, cela m’arrive.
Et cette histoire est également écrite à l’entrée du cimetière.
Peu de gens le savent, mais leur destin tragique a en partie inspiré Steven Spielberg pour son film Il faut sauver le soldat Ryan.
Albert et Thomas ont également été tués au combat.
Ils avaient débarqué tous les trois à Juno Beach le 6 juin.
Si bien que leurs photos ont d’ailleurs été déposées dans le cimetière. Je les ai gardées.
Les Westlake ne sont qu’un exemple des neuf ensembles de frères canadiens dont les tombes se trouvent ici.
Trouvez-vous des objets au pied des tombes ?
Presque toutes les semaines ! Des familles laissent des photos du soldat en tenue militaire, des cadres avec la photo de mariage et parfois des enfants, des petits mots personnels ou encore des galets avec le dessin de la feuille d’érable.
Presque toutes les semaines !
Des familles laissent des photos du soldat en tenue militaire, des cadres avec la photo de mariage et parfois des enfants, des petits mots personnels ou encore des galets avec le dessin de la feuille d’érable.
Un jour, j’ai retrouvé des centaines de pièces de 1 cent enterrées au pied d’une sépulture.
Sans compter également ce bracelet déposé sur la tombe d’un soldat amérindien canadien.
Une école canadienne a laissé un cahier réalisé par les élèves comprenant des photos d’archive du Débarquement et des recherches sur l’histoire de certains soldats enterrés ici.
Je ne peux pas laisser tous ces objets à l’année au pied des tombes, à cause des intempéries et des risques de vols.
Toutefois, je les conserve précieusement, à quelques mètres des sépultures.
Des personnalités fréquentent-elles le site ?
Crédit : CWGC
Oh oui j’en ai croisé plusieurs, notamment des politiques comme Charles III (qui était encore Prince à l’époque) et Nicolas Sarkozy.
J’ai même une page du livre d’or du 6 juin 1984 avec la signature de la Reine Elizabeth et de François Mitterrand.
J’ai également assisté à un moment fort en émotion pour la famille Trudeau.
En 2017, Justin Trudeau, homme d’État canadien, était venu en famille au cimetière pour se recueillir sur la tombe de Jean-Robert Grégoire, le grand-oncle de sa femme Sophie.
Il a débarqué en Normandie, le jour J, avec le régiment de la Chaudière.
Il est décédé en raison d’un combat près de Caen, un mois plus tard, le 5 juillet 1944.
De même, je croisais aussi des marraines de guerre, qui sont des personnalités locales.
Ce sont des habitantes des villages voisins qui venaient entretenir et se recueillir sur la tombe d’un soldat.
Elles sont âgées maintenant.
Il faut dire que le Débarquement, c’était il y a presque 80 ans.
Témoignage de Colette Legouix, marraine de guerre, tiré de l’exposition Dans leurs Pas
Assistez-vous aux cérémonies ?
Je ne les compte plus !
J’ai rencontré beaucoup de vétérans du Régiment de la Chaudière.
C’est touchant de voir ces vieux messieurs en tenue militaire qui saluent leurs camarades tombés au combat.
Il ne faut pas oublier qu’ils n’avaient seulement qu’une vingtaine d’années le 6 juin 1944.
Ils sont capables de vous raconter en détail le déroulé du « jour le plus long ».
Vous aussi, vous pouvez assister aux cérémonies.
Il y en a une le 6 juin de chaque année et une en août, lors du festival de la Semaine Acadienne.
Samuel Levasseur et Justin Trudeau, crédit : CWGC
Il paraît que vous écrivez des poèmes ?
Les lieux m’inspirent : les fleurs, le chant des oiseaux, la mer à l’horizon…
L’aspect paysager est pour moi un lieu d’inspiration plutôt que de tristesse.
Je vous partage l’un de mes poèmes préférés :
Toi soldat canadien
D’Angleterre tu as embarqué
Tu as suivi ton méridien
En Normandie tu as débarqué
Tu as sauté de la barge
Tu as mis le pied à terre
Courageux sur la plage
Sous le feu d’un tonnerre
D’un coup tombant
Allongé sur le sable
Tu appelles maman
Restée au pays des érables
Tu es à jamais là
Dans le jardin postérité
T’es pas rentré au Canada
Pays d’espaces et de liberté
Merci Samuel. C’est un plaisir d’avoir échangé avec vous ! Plaisir partagé !
Plus d’informations sur le cimetière militaire de Reviers/Bény-sur-Mer
Illustration du cimetière miliaire, par l’architecte Philip Hepworth, crédit : CWGC
À la fin de l’année 1944, deux cimetières permanents ont été établis en Normandie pour l’inhumation des soldats canadiens :
un ici à Reviers/Bény-sur-Mer et l’autre à Cintheaux/Bretteville-sur-Laize, au sud de Caen.
Par conséquent, les restes de ceux qui avaient été enterrés ailleurs sur les champs de bataille ont été déplacés dans ces deux cimetières.
Vue du cimetière, avril 1951, crédit : CWGC
Pour commencer l’architecture a été conçue par Philip Hepworth, le principal architecte de l’Imperial War Graves Commission pour l’Europe du Nord-Ouest.
Il est à noter que cet architecte a aussi conçu les cimetières de Bayeux et de Cintheaux-Bretteville-sur-Laize.
Le cimetière compte 2049 tombes dont 1694 soldats Canadiens et 15 aviateurs, 3 soldats Britanniques et 1 Français.
C’est dans ce cimetière que reposent les 335 soldats de la 3e division canadienne ayant débarqué le 6 juin 1944 dans le secteur de Juno Beach.
D’ailleurs, les prisonniers de guerre Canadiens exécutés par la SS‐Panzer Hitlerjugend à l’Abbaye d’Ardenne y sont également enterrés.
L’allée centrale mène à la Pierre du Souvenir, puis au carré du recueillement, à la Croix du sacrifice et enfin au pavillon abri.
Des érables bordent l’entrée et des tours de style normand donnent sur la plage Juno Beach.
Au pied de l’une des tours se trouve le registre du cimetière avec les noms des soldats.
Le livre d’or est également intéressant à consulter.
Un escalier permet notamment d’accéder à une terrasse qui offre un point de vue sur le site.
Les croix en bois plantées provisoirement après la guerre ont été remplacées par des pierres tombales blanches et sobres, principalement en pierre de Portland et en marbre de Botticino.
Pourquoi l’appelle-t-on le cimetière militaire de Reviers/Bény-sur-Mer ?
Tout simplement parce qu’il est situé entre les deux villages, en plein milieu des champs cultivés : à 500 mètres à l’est se trouve la commune de Reviers et de l’autre côté celle de Bény-sur-Mer.
Quand et comment peut-on visiter ce site ?
Il est accessible 7 jour/7, toute l’année, du lever au coucher du soleil.
Notons que des visites guidées sont organisées par la CWGC ou par des guides conférenciers. Renseignements auprès des offices de tourisme :
Cimetière Militaire Canadien
BENY-SUR-MER
C’est dans ce cimetière que reposent les 335 soldats de la 3e division Canadienne ayant débarqué le 6 juin 1944 […]
Qu’est-ce que la Commonwealth War Graves Commission ?
Elle a été fondée pendant la Première Guerre mondiale par Sir Fabian Ware, sous la présidence du prince de Galles (futur Édouard VIII).
La Commonwealth War Graves Commission (CWGC) est une organisation qui honore la mémoire des 1,7 million d’hommes et de femmes des forces du Commonwealth tombés pendant les deux guerres mondiales.
La CWGC est chargée non seulement d’officialiser les cimetières et de créer des mémoriaux pour les disparus, mais aussi d’entretenir ces sites pour toujours.
Cette Commission soutient également les événements commémoratifs organisés par les gouvernements des États membres.
Les principes fondamentaux :
- Chaque disparu est commémoré par une stèle à son nom ou par une inscription sur un mémorial,
- Aucune distinction n’est faite quant au rang militaire ou civil, à l’origine ou à la confession,
- Les stèles sont uniformes,
- Les stèles et les mémoriaux sont permanents.
Les caractéristiques communes aux cimetières militaires de la CWGC :
- Les pierres tombales où figurent l’insigne régimentaire, le nom du soldat, le symbole religieux et parfois une épitaphe,
- La Croix du Sacrifice, présente dans les cimetières de plus de 40 tombes, rappelle le sacrifice des soldats pour la patrie,
- La Pierre du Souvenir, présente dans les cimetières de plus 1 000 tombes, porte l’inscription « Their name Liveth For Evermore », « Que leurs noms vivent à jamais ».
Qui finance la Commission ?
L’association compte 53 états. Le budget s’élève à 74 millions de livres. Elle dépend principalement de subventions de 6 gouvernements partenaires les plus importants des nations du Commonwealth qui partagent les frais de fonctionnement proportionnellement au nombre de leurs tombes : le Royaume-Uni (79%), le Canada (10%), l’Australie (6%), la Nouvelle-Zélande (2%), l’Afrique du Sud (2%) et l’Inde (1%).
Quelques chiffres…
La CWGC a construit 2 500 cimetières militaires et parcelles. Elle emploie 1300 personnes, dont la grande majorité sont des jardiniers et des tailleurs de pierre. Ils entretiennent plus d’un million de tombes de guerre sur 23 000 sites, dans 153 pays et territoires.
La surface entretenue par la CWGC correspond à 994 terrains de football.
C’est en France que se trouve le plus grand nombre de cimetières et monuments commémoratifs du Commonwealth. L’équipe française de la Commission est composée de 450 salariés, dont 320 jardiniers, qui entretiennent plus de 575 000 sépultures militaires en grande majorité en Normandie et dans les Hauts-de-France.
Il existe plus de 3 000 sites en France dont 23 mémoriaux, 1 278 cimetières militaires et 2 000 cimetières communaux.
En savoir plus sur les missions et les métiers de la Commission
Un centre d’interprétation a récemment été ouvert à Beaurains, dans les Hauts-de-France, pour présenter le travail de leurs artisans (gravure, menuiserie et ferronnerie). C’est là que les stèles sont regravées et restaurées.
La base de données de la CWGC permet d’effectuer une recherche sur un soldat et sur les
sites de mémoire entretenus par la CWGC.
La base de données, uniquement disponible en anglais, est accessible en cliquant sur le bouton ci-dessous :